Ma naissance dans ce corps est probablement ce qui me marqua le plus dans cette vie sur Terre. La découverte des cinq sens : l’odorat pour sentir toutes les fragrances de ce monde ; l’ouïe pour entendre le chant des oiseaux ; le goût pour savourer toutes ces merveilles culinaires ; le toucher pour ressentir, à travers son corps entier, le vent qui souffle et la vue… pour voir tout ce que ce monde peut nous offrir de magnifiques, que ce soit un coucher de soleil, une pluie d’étoile filante, un orage dans sa splendeur et j’en passe. Mon arrivée sur Terre fut aussi un plongeon vers l’inconnu : ces souvenirs, ces images du passé d’une personne que je ne suis pas. Dix ans de songes, de berceuses, d’amour et d’amitié, de tristesse, de colère (difficile à vivre pour une âme aussi paisible que moi). Certaines de ces images, plus forte que d’autres, hantent encore mes pensées, des vestiges d’un autre temps, d’une autre entité.
Je suis certes passé au travers, mais je suis consciente que pendant dix années, je n’étais pas « moi ». Elle était là, cette petite Reagan qui est devenue mon hôte. Mais j’ai été plus forte qu’elle, enfin, c’est une façon de voir les choses. Je n’ai pas connu le doute ni même l’inquiétude de perdre cette bataille, mais je sais que d’autres n’en ont pas sorti vainqueur. Perdre l’un des nôtres dans une querelle intérieure, aussi minime soit-elle, ne devrait pas se produire. Cela n’a aucun sens, me dites-vous, car je n’existerais sûrement pas dans le cas échéant. C’est vrai, mais nous leur avons tout enlevé… je les comprends. Pas totalement, mais je les comprends de vouloir tout sacrifié pour conserver la seule chose qui leur appartienne encore : la vie.

Il est arrivé dans ma vie d’une façon inattendue, un acte non prémédité autant par lui que par moi. Je l’ai découvert, caché dans un petit boisé près de chez moi, blessé, inconscient. Je savais qu’il n’était pas des nôtres ; sa marque était bien trop souillée pour avoir été faite par nos soigneurs. Et ces yeux, d’un bleu profond, éteint certes, vu son état, mais d’un éclat que je n’avais jamais vu. Je l’ai recueillit chez moi, trop curieuse pour songer un seul instant que ma vie pouvait être en danger en sa présence. Son réveil fut chaotique et il lui fallut un certain pour s’habituer à ma présence et comprendre que, quoiqu’il fasse, je n’étais pas son ennemie, je l’avais sauvée, après tout, je l’avais même soignée de mes mains avec mes maigres connaissances de leur santé fragile. Il passa plusieurs jours chez moi où il se reposa et mangea à sa faim. Petit à petit, il me parla de son histoire, de sa vie, de sa cavale pour sa liberté et son histoire me toucha et m’intrigua en même temps : je ne connaissais rien, en dehors de ce que ma vie sur la Terre m’avait apportée. Je n’avais aucune expérience dans un autre monde, j’enviais presque ceux qui avaient des histoires impressionnantes de ces multiples planètes où il était possible de vivre. Au fil des jours, l’improbable se produit : nous nous attachâmes l’un à l’autre. Mais c’est cela qui l’a fait fuir, le jour où nos lèvres se sont rencontrés dans un acte purement humain, l’instinct primaire de mon corps en son fort intérieur. Le lendemain, il avait disparu, ne laissant rien derrière lui, ne serait-ce que les multiples humains qui sont passé me voir dans les semaines et les mois qui suivirent son départ. Au moins, je savais qu'il était encore vivant...