« SUZANNE, COURS ! »
« Mais maman… »
« C’est fini pour elle… Ils l’ont eut. »
« Pardon ? »
« On a pas de temps à perdre, Suzanne ! »
« Mais... »
« FERME-LA ET COURS ! »

Les ruelles étaient vides, dénuées de toute trace humaine. Le ciel sombre et ses sinistres nuages rendaient l’atmosphère pesante. Le calme avant la tempête, car seul le vent sifflait, témoin des terribles événements à venir. Derrière la fenêtre de l’une des maisons, une jeune fille brune observait d’un air suspicieux les environs. Elle n’avait pas plus de quinze ans. Ses longs cheveux châtains retombaient dans son dos avec une élégance rare, entourant son visage aux traits fins, sa peau si délicate et son teint diaphane. Derrière elle sa petite sœur de trois ans sa cadette dessinait sur la table de la salle à manger. A l’intérieur même de la maison, le calme régnait. Personne ne criait ou ne se chamaillait, et même leur mère qui était souvent au bord de la crise de nerfs semblait plutôt calme à l’étage. Maddie jeta un nouveau regard à la ruelle abandonnée avant de se retourner vers sa jeune sœur qui lui lança un coup d’œil furtif.
« Mais que fait maman ? Cela fait déjà deux heures qu’on devrait être partis ! »
Sa jeune sœur secoua la tête de droite à gauche, ne sachant sûrement pas plus qu’elle ce que fabriquait leur mère à l’étage. La jeune fille commença à faire les cents pas dans la pièce. Depuis la venue des âmes en ce Monde, tout était devenu si étrange. Les comportements changeaient autour d’elle, toutes les personnes qu’elle connaissait, hormis sa sœur et sa mère, avaient fait les frais de cette venue mystérieuse sur Terre. Alors elle se cachait, elles se cachaient. Voilà plusieurs mois, quelques années, qu’elles voyageaient sans cesse, abandonnant chaque domicile, écourtant leurs séjours toujours plus rapidement. Leur père était mort voilà quelques années, Maddie n’avait que quatre ans lorsque la tragédie s’était abattue chez les Watson-Brown. Il était parti des suites d’une crise cardiaque, chose plutôt rarissime pour son jeune âge. Parfois, Maddie se disait qu’elle préférait le savoir se reposer, plutôt que de fuir avec elles, au risque de se faire prendre par les âmes. Car tel était son avis : plutôt mourir que de voir disparaitre sa propre âme, que de se voir posséder.
Soupirant de plus belle, la jeune fille finit par s’arrêter au beau milieu de la pièce. Elle percevait nettement le bruit du fuseau de sa sœur, allant et venant sur le papier. C’était hélas le seul bruit qui lui parvenait, en dehors des bonds que faisait son palpitant à l’intérieur de sa poitrine. Elle glissa un regard à sa sœur, avant d’annoncer :
« J’y vais. J’ai besoin de savoir ce qu’elle fait. »
Elle lu la désapprobation sur les traits de sa sœur mais n’en fit qu’à sa tête, comme souvent. Elle se dirigea vers les escaliers, gravit les marches d’un pas précipité et se dirigea vers la petite pièce qui servait de chambre provisoire à sa mère. Cette dernière était assise sur son lit, dos à la porte. Ses longues boucles brunes étaient la seule chose que percevait Maddie de là où elle se tenait. Poussée par la curiosité, la jeune fille vint s’asseoir à coté de sa mère. Elle l’observa et remarqua des larmes sur les joues de sa mère. Ses yeux bruns étaient cernés, et d’un rouge qui trahissait sa tristesse.
« Maman… est-ce que ça va ? »
Cette dernière se tourna vers sa fille et rangea un bout de papier dans sa poche. Elle adressa alors un sourire moyennement convaincant à son ainée.
« Oui, nous n’allons pas tarder à y aller. Dis à ta sœur de ranger son matériel à dessin. »
Maddie acquiesça avant d’embrasser sa mère sur la joue. Elle perçut à nouveau l’ombre d’un sourire sur son visage. La jeune fille s’apprêta à quitter la chambre, se dirigeant d’un pas lent vers la porte, quand sa mère l’interpella :
« Madeleine, peux-tu me promettre une chose ? »
Celle-ci fronça les sourcils avant de se retourner.
« Bien sûr, maman. »
« Promet-moi de faire toujours attention à toi, et à ta sœur. Quoiqu’il arrive, prend bien soin d’elle. Quoiqu’il arrive, ne l’abandonne pas. Fais-en-moi la promesse. »
La tristesse de sa mère puis ses paroles rendit la jeune fille plus suspicieuse encore. Elle avait comme un pressentiment, percevait ces dernières paroles comme un mauvais présage. Mais elle acquiesça tout de même et répondit sagement :
« Je t’en fais la promesse, maman. »
Puis elle quitta la chambre, rejoignit sa petite sœur, la mort dans l’âme. Elle ressentait le danger, c’était comme un goût amer sur sa langue, comme un parfum menaçant qui lui donnait des nausées. Elle pria sa sœur de ranger ses affaires et partit prendre son manteau dans le vestibule, noua son écharpe autour de son cou. Soudain, un bruit se fit entendre à l’étage. Maddie sursauta avant de jeter un coup d’œil à sa sœur, laquelle haussait les épaules. Les sens en alerte, la jeune brune remonta les marches de l’escalier, cette fois-ci en courant, et rejoignit une nouvelle fois la chambre de sa mère. Elle entendit le vent siffler, le froid la submerger avant même d’entrer dans la pièce. La fenêtre était grande ouverte, et il n’y avait plus aucun trace de Mrs Watson-Brown. Haussant les sourcils, bouche bée, la jeune fille se dirigea vers la fenêtre pour observer l’extérieur. Elle ne fut qu’un minimum rassurée en ne voyant pas le corps inerte de sa mère sur le bitume, en bas. C’est alors qu’elle le vit. Une feuille de papier, coincée sous un ouvrage volumineux pour éviter qu’il ne s’envole. Ses doigts tremblaient quand elle tendit la main pour la prendre. Elle le retira de l’emprise du livre et le déplia délicatement. Elle vit apparaitre l’écriture soignée de sa mère. Une goutte d’eau était tombée sur le papier, en haut de la feuille, comme une larme qui s’était égarée. Alors, elle lut, le cœur battant à tout rompre.

« Chère Maddie,
Tout d’abord pardonne-moi. Je n’ai jamais voulu que cela se termine de cette manière, mais il le fallait. Ils m’ont trouvé, ma chérie. Les traqueurs ont réussi à suivre ma piste. Alors, je me rends. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour vous protéger, et c’est là mon seul et unique but, vous protéger ta sœur et toi. Ils m’ont eut, mais ne vous auront pas. Je sais que je te laisse un énorme poids sur les épaules, ta propre sécurité mais également celle de ta sœur repose désormais entièrement sur toi. Je n’ai pas pu faire autrement, je t’assure.
Il va vous falloir beaucoup de courage à toutes les deux. Mais lis ça bien attentivement : il existe en plein cœur du désert, un groupe d’humains luttant pour la survie de l’humanité. Tu dois les rejoindre, même s’il sera difficile pour toi de les retrouver sans te faire attraper. Au dos de cette feuille j’ai joint un itinéraire. Suis-le.
Je te fais confiance pour retrouver le chemin, ma fille. Je vous aime tant, ta sœur et toi.
Encore une fois, pardonne-moi. Pardonne-moi de vous abandonner maintenant. Mais j’ai l’espoir que l’on se reverra bientôt, c’est la seule chose à laquelle je peux me raccrocher. Maintenant, va-t-en, fuis. Ils arrivent.
Je vous aime.


Une larme, puis plusieurs coulèrent le long de ses joues avant de se déposer sur la feuille de papier qu’elle retourna, observant l’itinéraire dessinée avec soin par sa mère. Puis elle se reprit, fourra la feuille de papier dans sa poche et partit rejoindre sa sœur.
Il fallait fuir.
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Il m’observait. De ce regard qui me faisait rêver, qui m’effrayait. J’aurai reconnu ce regard parmi mille autres. Cet océan bleu dont les vagues m’emmenaient si loin de mon entité physique, loin de tout. Prisonnière de ces nuances d’azur, de charon et de bleu ciel, de ces fibres microscopiques perturbatrices qui rendaient mon jugement toujours si subjectif. Mon propre regard ne savait s’en détacher, captivé, émerveillé. D’un simple coup d’œil, il aurait pu faire ce qu’il voulait de moi, je n’étais plus rien de plus qu’une esclave consentante. La sienne, en réalité.
Il souriait.
Je perçus cette esquisse sur ses lèvres à la seconde même où celles-ci se mouvaient silencieusement. Mon Monde ne tournait plus qu’autour de cette personne si particulière à mes yeux. Je dévisageai ce visage aux traits si gracieux, cette peau que je m’imaginais si douce au toucher, absolument délicate. Ce regard qui m’hypnotisait, ces lèvres vermeilles appréciables. Cet être à la fois mystérieux et distant, dégageant cette aura qui m’attirait irrévocablement.
Alors, il me tendit la main.
Je la contemplai, incrédule. Je sentis mes yeux s’écarquiller. Un contact ? Lui qui avait toujours été si distant avec moi, je peinais à croire qu’il veuille me toucher. Mes lèvres s’entrouvrirent mais ne délivrèrent aucun son, sous l’effet de la surprise. Je scrutai son regard, à la recherche d’un quelconque indice. Tout ce que je trouvai fut une pointe d’amusement et une ruse certaine dansant dans ces vagues bleues malicieuses. Fronçant les sourcils, je laissais la curiosité m’envahir. Et si… Je secouai subtilement la tête en signe de dénégation. Non, je devais le faire.
J’avançai ma main, tremblante.
Son sourire s’agrandit et je sentis l’assurance me revenir. Nos doigts se rencontrèrent et au contact de sa peau, je sentis un frisson me parcourir l’échine. Ce fut une sensation agréable, chaleureuse et presque familière qui m’envahit soudainement. Ce fut spontané, si fugace que mon esprit mit quelques secondes à le réaliser. Ses doigts se croisèrent entre les miens. Je fermai les yeux un instant, afin de voir si lorsque je les rouvrirai, cette image et ces sensations s’effaceraient. Ce ne fut pas le cas et un sourire vint dessiner mes lèvres. Tout cela était si réel. Il m’observa, et finit par prendre la parole :
« N’aie pas peur. »
Il s’approcha alors, et chaque pas fut pour moi un soulagement. Une petite voix dans ma tête me disait de lui faire confiance, qu’il disait la vérité. Pourtant la peur avait envahit mon corps à la seconde même où il s’était approché. De nombreuses sensations s’étaient installées en moi, celles que je ne saurai décrire avec exactitude. Un mélange d’appréhension, de désir, de curiosité, d’impatience, de joie, et de crainte. Mais je me laissai aller, lui fit confiance. Que pouvais-je bien faire d’autre ? Mon regard ne savait se détacher du sien, sa chaleur m’avait envahit et m’empêchait de refuser.
Son visage s’approcha du mien.
Je sentis son souffle se poser sur mon visage, les doigts de sa main libre repousser quelques mèches. Dans son regard, je pu lire une certaine appréhension certes, mais surtout une détermination à toute épreuve. Sa main glissa sur ma joue, la caressant délicatement, comme si ma peau était de porcelaine. Mes doigts serrèrent les siens et je sentis presque immédiatement la réciproque. Il continuait de s’approchait, si doucement d’ailleurs, que les secondes semblaient s’éterniser. Pourtant, il ne fut plus bien loin. Seuls quelques centimètres, quelques millimètres nous séparaient.
Ses lèvres atteignirent alors les miennes.
Ce ne fut comparable à rien de ce que j’avais pu expérimenter jusqu’à aujourd’hui. Une sensation nouvelle, agréable. Nos lèvres dansaient à l’unisson, dans une synchronisation presque trop parfaite. Ses lèvres vermeilles se firent délicates contre les miennes, les caressant subtilement. Mes paupières closes, le toucher se fit sentir davantage. C’était le seul sens qui était encore en état de marche en cet instant unique. La danse se poursuivit, le rythme toujours aussi lent, aussi délicieux. J’étais comme dans un autre Monde, comme à des kilomètres de la réalité.
Enfin, je me réveillai.

« Un nouveau cauchemar, Maddie ? »
« J’en ai bien peur, Doc. »
« L’inconnu aux yeux bleu ? »
« C’est ça… »

Je m’enfonçais peu à peu dans les profondeurs souterraines, ces tunnels lugubres de la Grotte, me frayant un chemin vers les salles de bain. Mes pensées divaguaient, les images de ce regard bleu pénétrant me revenant par vagues, mon esprit semblait prendre un malin plaisir à me les divulguer. Cela faisait des semaines que cela durait, des semaines que ces images pénétraient mes nuits, s’infiltrant dans mes rêves et m’envoutant avec une telle force qu’au réveil, le rêve flottait toujours dans l’air. Qui était donc ce mystérieux garçon que je voyais sans cesse, celui dont le regard ne me laissait jamais indifférente, celui dont les baisers me donnaient l’impression de revivre. Je ne le connaissais pas, j’en étais certaine. Soupirant, je tâchai de refouler ces images, atteignant bientôt les salles de bain. Je n’avais jamais réellement aimé cet endroit, qui me semblait si étrange, très loin du confort dont jouissaient les âmes, dans les grands appartements luxueux du centre. Ici, tout était si différent, en décalage complet avec la réalité. Cela ne faisait pas si longtemps que j’avais rejoint les rebelles, quelques mois à peine, et j’avais toujours un peu de mal avec leurs méthodes. Mais lorsque l’on était une humaine dont l’âme voulait rester intègre, le choix était réduit et cette grotte semblait être le meilleur refuge contre les âmes ne demandant que des corps humains dans lesquels se réfugier, à l’extérieur. Alors je me contentais de ce lieu, qui après des mois et des mois de cavales, ne semblait pas être si mal. Ici, personne ne se cachait. Et ma petite sœur, Suzanne était en sécurité.
Je scrutai l’eau douce dont les profondeurs bleutées me rappelaient le regard de mon inconnu. J’étais toujours un peu embarrassée ici, face à toutes ces personnes venant se baigner, dans le plus simple appareil. Je me dirigeai vers un coin tranquille, sans un regard pour les « baigneurs ». Après un instant d’hésitation, je retirai mon pantalon et ma chemise, puis mes sous-vêtements que je délaissai non loin de là. M’approchant rapidement du bord, haïssant l’idée que n’importe qui pouvait découvrir mon corps mis à nu, je frissonnai à la morsure glacée de l’eau. Cette sensation plus que désagréable qui me saisissait à chaque fois et qui me faisait regrettait l’eau brûlante que je faisais couler, petite. Frileuse et fragile, j’avais tendance à attirer tout ce qui trainait et me retrouver chez Doc pour de plus ou moins longs séjours. Pas étonnant que l’on me traite ensuite de petite nature… Je détestais ça !
Je tachai de faire des mouvements réguliers dans l’eau pour ne pas céder au gel avant de saisir le gros savon rapporté au cours des derniers raids. Comme toujours, les stocks étaient toujours aussi réduits et le mot d’ordre ici était l’économie. Tachant de Me détendre un minimum, Je commençai à me laver dans le silence le plus complet… qui fut malheureusement bien vite rompu par la voix d’un jeune homme qui m’était plus familière… malheureusement.
« Maddie ? Maddie t’es là ? »
Je me renfrognai… mes craintes se confirmaient. Soupirant de plus belle, je tachai de plonger dans l’eau glaciale afin de pouvoir me cacher de l’intrus. J’inspirai une grande bouffée d’air avant d’enfouir tout mon corps dans les profondeurs de l’eau. Je fermai les yeux qui me piquaient, confrontés au contact de l’eau douce. Je luttai pour rester le plus longtemps possible sous la surface mais il fallait se rendre à l’évidence : je manquai bientôt d’air et il me fallut remonter. Respirant à nouveau l’air, je me sentis tout de suite mieux, jusqu’à ce que vis le sourire béat collé sur son visage. Je secouai la tête… non ce n’était pas vrai, il m’avait eut.
« Qu’est-ce que tu fais là ? »
« Et toi donc, c’est de moi dont tu te cachais, là ? Dommage, j’ai repéré tes vêtements près du bord. Au passage, jolie petite culotte ! »
Son sourire si idiot me rendit furieuse, il paraissait à son avantage, là. Il était tout habillé, sur la terre ferme tandis que moi… eh bien moi j’étais en tenue d’Eve sous l’eau. Quelle poisse !
« Dégage, je prends mon bain, ça ne se voit pas ?! »
« Si si, ça se voit plus que bien même. Dommage qu’il fasse si sombre ici. »
« Tu es con. »
« Bon, bon, okay t’énerve pas Maddie ! J’y vais, mais sache qu’on t’attend là-bas ! On a besoin de toi. Si j’étais toi… »
« J’ai compris, maintenant s’il te plait va-t-en. »
Il haussa les épaules avant de repartir, son sourire malicieux toujours collé aux lèvres. Il m’exaspérait, même si, au fond, il me faisait bien rire. Je terminai ma toilette avant de repartir. Pourvu que ce ne soit pas Suzanne qui ait fait encore une bêtise…